BLAUE KATZE

(L’immeuble d’appartements Szélenyi)

Le cabaret le plus célèbre d’Europe

Kálmán Mikszáth : Du casino au jardin de Beleznay, Pesti Hírlap, 1882

Le premier quartier de divertissement de Budapest était la rue Király et ses environs.
Près d’une maison sur trois fonctionnait comme une discothèque, un cabaret, un café chantant, un spectacle de variétés, un brettli, un café musical, un music-hall, un zengeráj, un tingli-tangli ou une revue.
Entre 1890 et 1914, Vienne et New York comptaient ensemble moins de boîtes de nuit que Budapest. Seules Paris et Berlin dépassaient la capitale hongroise en nombre de lieux de divertissement.

En raison de son caractère scandaleux, l’un des cabarets les plus célèbres était le Chat Bleu (Kék Macska), qui ouvrit ses portes en 1855 au 15, rue Király. L’établissement, considéré comme le précurseur des spectacles de variétés hongrois, attirait le public avec des chansons de Béla Zerkovitz et des pièces d’Antal Oroszi inspirées de l’humour forain, avec des actrices et des danseuses également actives comme courtisanes, qu’on pouvait approcher après le spectacle.

Un habitué de la discothèque était le comte Miklós Szemere, diplomate tristement célèbre pour ses jeux de hasard et de cartes, qui fut le premier à introduire le judo et le jiu-jitsu en Europe. À la demande de l’ambassadeur, en 1906, l’artiste martial japonais Kichisaburo Sasaki s’installa à Budapest pour enseigner les sports de combat.

Lors de l’une de ses cinq visites en Hongrie, le malheureux prince héritier Rodolphe de Habsbourg-Lorraine, accompagné du prince de Galles, visita la discothèque le 15 mai 1881. Le prince de Galles devint plus tard le roi Édouard VII du Royaume-Uni, des Dominions britanniques, et empereur des Indes vingt ans plus tard.

Selon des rumeurs contemporaines, Édouard serait tombé amoureux de la chanteuse Róza Waldau (Jeanette), déjà fiancée à un cocher, alors qu’il assistait à la farce Les fiançailles à la course de chevaux. Cette poursuite romantique fut brusquement interrompue par la reine Victoria, souveraine de l’Empire britannique, avec une remarque cinglante :

« Il y a déjà assez de prostituées dans la famille, pourquoi en ajouter une autre ? »

Le soir du 6 octobre 1888, Herbert von Bismarck, fils aîné du chancelier allemand et ministre d’État prussien, se saoula à tel point qu’il monta nu sur scène pour se montrer au public. À la surprise générale, la police n’escorta pas le prince nu, mais renvoya le public chez lui.

À ce moment-là, le jeune prince alla se cacher dans l’un des salons du troisième étage de la discothèque, où il aperçut un petit groupe en pleine intimité, comprenant la comtesse Margit Hoyos. Le politicien allemand s’y joignit, et l’affaire fut si bien conclue que Bismarck épousa Margit à Vienne le 21 juin 1892.

Parmi les autres personnalités ayant dansé au Chat Bleu figuraient le prince Louis Philippe Albert d’Orléans et son entourage, ainsi que le roi Milan Ier de Serbie, qui, avec une suite de près de 500 personnes, y passa plus d’un mois, consommant à lui seul 1,2 % du PIB de la Serbie.

Lorsque Antal Oroszi, écrivain résident du Chat Bleu, fonda son propre centre de divertissement, Foliès Caprice, en 1889, les jours de gloire de la discothèque de la rue Király commencèrent à décliner. La maison d’angle fut ensuite rachetée par le comte László Pejačević, ban de Croatie-Slavonie-Dalmatie, qui joua un rôle clé dans l’établissement du compromis hungaro-croate de 1868.

L’établissement légendaire ferma définitivement ses portes en 1893.